Texte et mise en pages Nadia CAPITANI
Photos de Nicole BARDI et Francis BARBET
Dès les premiers jours d’août 1914, les soldats défilent dans les villes pour se rendre dans les gares, d’où des trains les emmèneront au front. Sur le parcours, une foule les acclame. Des femmes, notamment à Paris, les embrassent et leur offrent des fleurs, qui finissent accrochées au fusil ou logées dans le bout du canon. L’expression restera pour désigner, dans tout engagement (militaire ou autre), ce qui relève de l’assurance et de la joie, mais aussi de la vantardise et de l’illusion, de la naïveté et du déni des réalités. Partis la fleur au fusil, les poilus rencontrèrent vite la mort. Cela dit, les vivats de la foule étaient surtout destinés à encourager la troupe. L’appréhension face aux inconnues de la guerre n’en était pas moins présente dans les cœurs.
LA GUERRE EN QUELQUES CHIFFRES (source affiche du musée de Notre Dame de Lorette)
1561 jours de combats ont jalonné la Grande Guerre
En Corrèze, 15 000 de ses fils ont eu la mort pour horizon, soit 1 mort pour 22 habitants !
A Auriac, 35 Poilus n’ont jamais revu leur village, soit 1 mort pour 26 habitants !
Les différents Etats qui ont mobilisé plus de 74 millions d’individus tout au long de la guerre comptabilisent :
10 millions de morts,
10 millions de blessés,
10 millions de mutilés,
7 millions de prisonniers,
9 millions d’orphelins,
5 millions de veuves,
10 millions de réfugiés.
Pendant la guerre on comptait :
4 tués à la minute
240 tués par heure (environ la population d’Auriac)
6400 tués par jour
L’Infanterie (RI) et ses fantassins massacrés !
L’Infanterie la « reine» des batailles, a été particulièrement éprouvée au cours de la guerre 1914/18.
1 fantassin sur 4 a été tué.
Pendant les 4 premiers mois de la guerre nous avons perdu (tués), 454 000 hommes.
Les tués français :
Tués au feu : 674 700 hommes
Morts de blessures : 250 000 hommes
Disparus présumés : 225 300 hommes
Morts de maladie : 175 000 hommes
Pertes parmi les indigènes : 65 000 hommes
Soit un total de : 1 390 000 hommes
AURIAC … Juin 2016 un voyage chargé d’émotion,
en hommage à ses Poilus, ces bonhommes !
Il y a 100 ans, ils quittaient leur village pour ne jamais le revoir.
100 ans plus tard, on se souvient, on veut comprendre.
LE DEPART
Lundi 6 juin 2016, 5 h du mat’, Auriac ne s’est pas encore éveillé, mais ils sont tous à l’heure ! il faut maintenant, récupérer au passage, ceux de St Privat.
Ils partent pour l’Artois, Verdun, Craonne, mais ce qu’ils ne savent pas encore, c’est que ce voyage sera laborieux, qu’il sera fait de déviations et de bouchons dus aux intempéries… et qu’il durera 14 heures !
Une petite collation bien méritée
La nécropole nationale
de Sillery-Bellevue
( Marne )
Arrêt vers 18 heures 30, à la Nécropole de Sillery /Thuisy dans la Marne, à 10 km de Reims.
Cette nécropole a été créée en 1923, pour recueillir les corps des soldats français provenant des nombreux cimetières communaux des environs, ainsi que des cimetières provisoires. Elle abrite les tombes de 11259 soldats dont 11228 français (5309 tombes et 5548 inconnus en ossuaire), tués dans ce secteur, lors des combats qui ont fait rage de septembre 1914 à l’automne 1918, pour la défense de Reims.
Que d’émotion et de larmes en voyant le nom de Joseph Breuil sur la croix n°1635. Il était l’un des nombreux Poilus, soldats du 100ème RI de Tulle. Il a été tué le 22 octobre 1914, à 24 ans. Il était le papa d’Antoine, qu’il ne connaîtra jamais. Ses deux petits fils, Michel et Jean Claude présents, ont répandu sur le sol, un peu de terre de son village Lalo/Auriac. Ils ont également eu une pensée, pour son jumeau Paul, lui aussi du 100ème RI, tué le 31 août à Voncq dans les Ardennes, porté disparu.
On immortalise l’instant !
A la recherche, dans cette même nécropole, de la tombe n°4857, d’un autre Poilus Auriacois : François Fierre Paul Fagis, célibataire, cavalier de 1ère classe au 1er régiment Léger, décédé à 30 ans aux Cavaliers de Courcy près de La Nivelette, dans la Marne, le 24 avril 1917.
La Chapelle de l’ossuaire à Sillery
Ossuaire n°2 de la nécropole de Sillery : Ici reposent, 5065 soldats, Morts pour la France, dont 4827 inconnus.
Ossuaire n°1 de la nécropole de Sillery : Ici reposent 483 soldats, Morts pour la France, dont 241 inconnus.
Parmi les soldats identifiés, on remarque, 4 Poilus du 300ème RI de Tulle, certainement Corréziens:
Astorg Alexandre soldat du 300ème RI, né le 17 mars 1887 à St Exupéry en Corrèze, décédé au combat de Prunay dans la Marne, le 24 septembre 1914 à 27 ans.
Barrière René soldat du 300ème RI, décédé le 24 septembre 1914
Gauthier Jean soldat du 300ème RI, décédé le 24 septembre 1914
Plas Léonard soldat du 300ème RI, décédé le 23 septembre 1914
Ils étaient nos aïeux, nos aînés, leur parcours de guerre s’est arrêté là, à Sillery. Ne les oublions pas !
Neuville St Vaast Pas de Calais.
Mardi 7 juin 2016, 8 heures, Direction l’Artois, Neuville St Vaast Pas de Calais.
Neuville St Vaast, située sur la route qui relie Arras (7,5 km au N) et Lens (10 km au S-O) actuellement desservie par l’autoroute A26, a été au cœur des combats qui se sont déroulés dans le secteur entre 1914 et 1918. Elle est dominée au N-E par une ligne de collines nommées « la crête de Vimy ». Cette commune est longtemps restée, zone allemande. Elle a été totalement détruite au cours des combats et reconstruite après la guerre.
10 heures, visite du musée privé de la Targette où nous retrouvons notre guide de la journée : David
Tous les objets présentés ont été retrouvés dans le secteur de Neuville St Vaast :
Henri avec en main, le modèle de képi que portait son grand père au début de la guerre. Là, celui du 164ème RI de Verdun, son grand-père appartenait au 300ème RI de Tulle.
Une protection (bien faible) placée sous le képi en 1914 et début 1915, avant l’arrivée du casque Adrian en 1915 :
La cervelière, sorte de calotte de métal distribuée au début de la guerre, pour protéger la tête du soldat sous le képi, qui servirent souvent à la cuisine.
Objets retrouvés sur le territoire de Neuville St Vaast, de Thélus, d’Ecurie (voir carte)
La tenue du soldat français de 1914 et sa visibilité désastreuse : le pantalon rouge garance utilisé jusqu’à la distribution de nouveaux uniformes, qui s’étale dans le temps jusqu’en 1915.
Soldat anglais, allié des français
Valise d’instruments d’un bloc opératoire
Reconstitution d’une infirmerie allemande. Au premier plan, un casque avec les impacts de balle.
Reconstitution d’un abri (QG)
Fin de matinée visite de la nécropole de la Targette.
Que d’émotion, devant ces milliers de croix blanches, alignées devant nos yeux, qui traduisent la tragédie des combats et qui perpétuent le souvenir de ces milliers de combattants de l’extrême, sacrifiés dans leur jeunesse pour notre liberté.
Au fond à droite de cette nécropole, dans le carré 16, reposent depuis 100 ans, deux Poilus Auriacois :
Louis Aussoleil soldat du 300ème RI de Tulle, 31 ans, père de deux enfants, grièvement blessé au combat de Neuville St Vaast décédé suite de ses blessures, le 14 novembre 1915, dans l’ambulance 14/12 (n°14 du 12ème corps d’Armée) à Haute Avesne à 10 km de Neuville St Vaast.
Jules Eugène Bouyge célibataire, soldat du 126ème RI de Brive, décédé suite de ses blessures dans l’Ambulance 15/2 à Haute Avesne, le 1 janvier 1916.
Tous attentifs aux explications de notre guide !
Thélus,
commune à 3 km de Neuville St Vaast se situe dans le secteur appelé en 14-18,
le Labyrinthe.
Nous quittons la Targette, pour Thélus
Thélus, commune à 3 km de Neuville St Vaast se situe dans le secteur appelé en 14-18, le Labyrinthe.
Dans le secteur dit du Labyrinthe, il ne reste que très peu de traces, ce secteur a été traversé par l’autoroute A26. Ce nom de labyrinthe a été donné à un ensemble d’organisations allemandes situées dans un triangle entre Neuville St Vaast, Thélus et Ecurie. Les boyaux et les tranchées y étaient tellement nombreux et enchevêtrés, que leur représentation sur une carte donnait l’impression d’un écheveau.
Engagés à partir du 25 septembre 1915, dans la 3ème bataille de l’Artois, aux combats de Neuville St Vaast et de Thélus, le 107ème RI de Limoges, le 126ème RI de Brive et les deux réserves d’Infanterie du 12ème CA, le 300ème RI de Tulle et le 326ème RI de Brive, ainsi que le 21ème chasseur à pied occupent les tranchées du Labyrinthe.
Ils font des efforts surhumains pour atteindre les tranchées ennemies. Les hommes sont épuisés.
Du fait de l’exigüité des boyaux, de l’importance du trafic et d’une consommation semble-t-il abondante d’alcool, cette montée en ligne est des plus pénibles. Un fouillis d’hommes, de blessés de divers régiments d’attaque, rend impossible tout mouvement dans les tranchées. Dépasser dans les boyaux, des hommes chargés de sacs, encombrés de deux musettes et de deux bidons, est un travail surhumain. Il en résulte d’importants flux humains à gérer, qui faute de pouvoir s’écouler rapidement, bouchent les boyaux et les tranchées et empêchent tout renfort.
Ce 25 septembre, en début d’après midi, encore plus de Poilus s’amoncellent dans les tranchées et les boyaux, à la fin de la journée, le bilan des pertes est particulièrement lourd.
« Les cadavres abandonnés s’enlisaient peu à peu dans la glaise, glissaient au fond d’un entonnoir, bientôt ensevelis sous une muraille de terre….on en profitait pour arracher autour du cou les plaques d’identité. Sauver ces masses anonymes d’un futur sans mémoire, les ramener au civil, comme si le drame du soldat était moins d’avoir perdu la vie que son nom». D’après Jean Rouaud auteur « les champs d’honneur».
Dans ce labyrinthe, le 25 septembre 1915, 4 poilus d’Auriac ont trouvé la mort. Ils sont porté disparus.
Il s’agit de:
Jean Henri Fraysse 31 ans, soldat réserviste du 300ème RI de Tulle, marié père de 3 enfants, disparu au combat de Thélus secteur du Labyrinthe, le 25 septembre 1915.
Félix François Pouget 31 ans, soldat réserviste du 300ème Ri de Tulle, marié père de 2 enfants, disparu au combat de Thélus, secteur du Labyrinthe, le 25 septembre 1915.
Auguste Rivière 28 ans, soldat réserviste du 300ème RI de Tulle, marié père d’1 enfant, disparu au combat du secteur du Labyrinthe, le 25 septembre 1915.
Auguste Deymard 25 ans, soldat réserviste du 107ème RI de limoges, célibataire, porté disparu au combat d’Ecurie secteur du labyrinthe, le 25 septembre 1915.
De gauche à droite, Jean Pouget petit-fils de Félix François Pouget, cantonnier titulaire des Ponts et chaussées pour le village d’Auriac, Henri Duclaux petit-fils, Marie Claire Portois petite-fille, et Pierre Bouyge arrière petit-fils de Jean Henri Fraysse. Ce mardi 7 juin 2016, à cet endroit, sur ce Labyrinthe, ils ont déposé un peu de terre de leur village, d' Auriac.
Notre Dame de Lorette
En fin de matinée, direction Notre Dame de Lorette sur la commune d’Ablain St Nazaire à 12km de Neuville St Vaast.
Restauration à l’Estaminet « l’Abri des Voyageurs » sur le plateau Notre Dame de Lorette, avant de retrouver notre guide, David, pour l’après midi.
La nécropole Notre Dame de Lorette, inaugurée en 1925 est l’un des grands cimetières militaires français, 40 058 corps y reposent dans des tombes individuelles et dans 8 ossuaires. Cette nécropole a été édifiée sur une colline dominant l’Artois, au dessus de la plaine de Lens et la plaine d’Arras au sud. Cette position dominante, qui s’élève à 165m, offre un observatoire sur le bassin minier ; c’était donc un point stratégique, qu’il fallait s’efforcer de posséder. Cette colline fut, l’un des champs de bataille les plus disputé entre octobre 1914 et 1915. Sur ses flancs sont tombés 120 000 hommes et autant de blessés. On l’appelle la Butte de la Mort.
Le bilan de la guerre
100 ans après, à la recherche des éclats d’obus, qui ont tués et blessés tant d’hommes, et qui remontent après chaque orage, à la surface du sol, au pied des tombes de nos Poilus.
Eclats d’obus et balles retrouvés le mardi 7 juin 2016 dans la nécropole Notre Dame de Lorette.
Deux Poilus d’Auriac reposent dans cette nécropole Notre Dame de Lorette :
Joseph Vaur, Soldat du 21ème RI, décédé le 12 juillet 1915 à 33 ans à Cambligneul dans l’Ambulance 3/70 (n°3 de la 70ème division), suite de ses blessures reçues devant l’ennemi à Notre Dame de Lorette. Il repose dans le carré 73, de cette nécropole. Il était père de 4 enfants.
Joseph Brajou, célibataire, sergent du 31ème bataillon de chasseurs à pied, (31ème BCP) tué le 25 mai 1915 à Carency (en bas de la colline de Lorette) dans le Pas de Calais, à 22 ans. Il repose également, dans le carré 73, de cette nécropole.
Ici, sur la colline de Lorette, le 31ème BCP, perd 70% de son effectif en trois jours, sur 3000 hommes, 2100 sont tués.
Le BPC est composé généralement d’hommes de petites tailles, (Joseph Brajou, mesurait 1,67m) très vifs et excellents tireurs. Ces bataillons rapides agissent à l’avant de l’infanterie, c'est-à-dire, en profitant des accidents du terrain, pour se poster et viser. En 1914, il existe 31 bataillons de chasseurs d’active = faisant leur service militaire.
La Tour- Lanterne, sur le plateau de Notre Dame de Lorette est l’œuvre de Louis Marie Cordonnier, architecte de la chapelle, qui s’est inspiré de celle de St Pierre d’Oléron. Cette tour s’élève à 52 m de hauteur, et repose sur une base de 12m de côté. Elle a la forme d’une tour, percée de fenêtres afin de faire entrer la lumière au sein d’un édifice. Mais, cette tour est particulière, car elle ne fait pas partie d’un édifice religieux et son rôle n’est pas de faire pénétrer la lumière à l’intérieur d’une construction, mais au contraire de la diffuser à l’extérieur, puisqu’elle est dotée, en son sommet, d’un projecteur, qui tourne à raison de cinq tours par minute, et qui éclaire les alentours dans un rayon de 70 km, comme un phare côtier. Elle est destinée à rappeler, le souvenir de ces milliers de combattants, enterrés dans la nécropole et notamment de ceux, dont les restes non identifiés, ont été déposés dans les ossuaires, dont le principal se trouve sous la tour.
La première pierre de cet édifice a été posée le 19 juin 1921, Il a été inauguré le 2 août 1925.
La crypte de la Tour-Lanterne se compose d’un ossuaire et la partie visible comporte 8 cercueils.
Aux Héros inconnus et en dessous la partie non visible.
8 cercueils de 4 par niveaux = 32 cercueils, représentant les nations en guerre, y compris
les corps de soldats inconnus des autres conflits du 20ème siècle qui ont pris place dans la crypte :
En 1950, un soldat inconnu de la seconde guerre mondiale
En 1977, un soldat tué en Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie)
En 1980, un dernier mort en Indochine
Enfin, depuis 1955, les cendres d’un déporté disparu dans un camp de concentration pendant la seconde guerre mondiale y reposent, dans le petit cercueil, au premier plan à droite.
Notre journée « pèlerinage- hommage » dans l’Artois se termine. Il a fait très beau, même très chaud, tout au long de la journée, là- haut sur la colline, mais l’orage menace.
16h30 - c’est un véritable déluge de pluie qui s’abat sur la Nécropole, au moment où chacun doit rejoindre le car. On attend, on hésite, mais il faut rejoindre ce car. Les minutes passent, la pluie ne s’arrête pas, aucune visibilité. Nous ne pourrons pas visiter l’Anneau de Mémoire comme prévu au programme. Il faut faire vite, l’eau est partout. Il faut reprendre la route de Laon, en passant par le village de Souchez, et quitter cette colline au plus vite, pour fuir cette pluie diluvienne qui s’abat sans discontinuer.
17h - Surprise angoissante, en arrivant dans ce petit village de Souchez, installé en bas de la colline Notre Dame de Lorette : il a reçu et reçoit encore toutes les eaux de la colline, qui déferlent dans les rues. Tout va très vite, ça déborde de partout, les bouches d’égout se soulèvent avec la force des eaux ; elle montera jusqu’à un mètre dans le centre ville vers 18h.
Par où quitter ce village, alors que tous les accès se ferment un à un ? Heureusement, nous avons un Super Chauffeur « Philippe» qui n’a pas perdu une minute. Il nous a sauvés des eaux !
Il était tant, quelques minutes plus tard, nous aurions été contraints de dormir dans une école ou un gymnase de Souchez.
Ce voyage pourrait s’intituler « une histoire d’eau ». L’eau a été au cœur de nos déplacements dès le départ, avec l’autoroute fermée à l’aller comme au retour !
Mais, cette eau n’était-elle pas les larmes de nos Poilus, malheureux de nous voir partir ?