Ce Corrézien fait son beurre du cantal
Une poignée de kilomètres fait parfois une énorme différence. Parlez-en à Jean Duroux, troisième génération de fromager installé à Rilhac-Xaintrie.
À vol de fuligule, le Cantal se trouve à portée de fusil. Mais résider en Corrèze semble plus aisé pour forcer la porte des ministères que convaincre les cols blancs de la grande distribution. « Vendre du fromage d'Auvergne quand votre société est basée en Corrèze, c'est un combat quotidien », confesse-il.
« En 2009, j'aurais pu prendre un gros chèque et tout arrêter »Recruter du personnel dans un secteur davantage réputé pour la majesté de ses paysages que pour son réseau de 2X2 voies ne se révèle pas plus aisé. « On a la fibre optique, ça, c'est un bonheur. Mais le réseau de téléphonie ne passe passe. C'est compliqué de rejoindre l'autoroute. Et le premier cinéma à la ronde passe un film tous les trois jours. Alors, on fait des efforts afin de libérer notre personnel le mercredi pour qu'il puisse s'occuper des enfants ».
4,5 M€ d'investissements« Berceau de la race », Rilhac-Xaintrie a vu se succéder les Duroux à la tête de la laiterie fromagerie. Louis, le grand-père, en 1936, traitait le lait de l'exploitation familiale. Paul, le père a pris la suite et développé la société que Jean dirige désormais. Collecte de lait. Transformation et affinage. Commercialisation et distribution. « En 2009, on aurait pu vendre. Prendre un gros chèque et tout arrêter ». Mais l'affectif et l'envie de se battre ont prévalu à ses yeux. « C'est un métier prenant mais passionnant. Je ne voulais pas lâcher l'affaire familiale ». Un atelier de 2.800 mâ s'adjoint aux 2.200 mâ existants. Un investissement de 4,5 M€ et une remodélisation totale de cette société qui emploie 25 salariés et collecte le lait « dans un rayon de 40 km ». « Je crois beaucoup aux circuits courts. J'aime l'idée d'être acteur d'un tissu rural qui contribue à faire vivre une cinquantaine de familles », insiste l'entrepreneur.
La société est basée sur l'aire géographique de trois AOP (appellation d'origine protégée) : cantal, bleu et salers. L'AOP cantal représente près des trois quarts des 850 tonnes de produit fini qui sortent chaque année de la fromagerie.
Le Saint des saints : un tunnel d'affinage sur l'ex-ligne ferroviaire Tulle-ArgentatLa journée de Jean Duroux, 48 ans, démarre à 4 heures du matin, peu de temps avant ses salariés. « À Rungis, ça démarre tôt ». Les commandes tombent souvent aux aurores. « Nous avons la chance de pouvoir compter sur des clients fidèles depuis trente ans. On fait plus que des affaires. On partage de l'affectif ».
La qualité des produits issus de l'unité de production flambant neuve séduit la grande distribution. De Super U à Carrefour. « On peut tout contrôler. La température (entre 4 et 8°C), l'hygrométrie, les dégagements d'ammoniaque ». Moulage. Pressage. L'affinage s'apparente à un travail d'horloger.
Mais le Saint des saints demeure caché quelque part sur l'ancienne ligne ferroviaire Tulle-Argentat. Un tunnel dans lequel maturent en secret des tommes de 40 kg. « Un produit plus rustique ». Vendu plus cher.
L'avenir serait-il désormais dans le fooding et l'apéro ? « Les modes de consommation changent. Les gens n'ont jamais mangé autant de sandwiches. Même en milieu rural ». L'entreprise découpe et emballe elle-même ses portions sous vide. Une nouveauté. « Dans les rayons des crémiers ou des supermarchés, ce qui marche bien, c'est la portion à moins de 5 € ». Seuil psychologique.
Fierté en bandoulière et charlotte sur la tête, le patron fixe néanmoins le cap. « On n'ira pas chercher du chiffre à tout prix dans la grande distribution au détriment de nos marges et de la qualité de nos produits ». Vous avez dit dur en affaires ?
è Rendez-vous. Jean Duroux ira à la rencontre des lycéens d'Argentat, jeudi prochain, pour évoquer son métier et sa société. « Je crois beaucoup à l'industrie agroalimentaire en Corrèze, martèle-t-il. C'est un créneau porteur pour l'emploi ».
Laurent Derne